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Intervalles de Loire de Michel Jullien

Cette histoire n’avait rien pour séduire.

L’éditeur nous avait prévenus : « pas de récit événementiel, une équipée sans hauts faits (...), une chronique antisportive, une narration dans le désordre ». Pas d’accident non plus, pas même une petite dispute. Et le lecteur n’apprendra rien du patrimoine ligérien. Rien. Et pourtant. Il y a dans ce livre une écriture qui se fait le reflet d’une pensée brillante. Il y a des fulgurances. Il y a un regard perçant, une sensibilité à hauteur d’homme, une poésie du réel, une exploration par le milieu et une immersion dans cette « coulée liquide, à la lisière du temps ». 

Trois amis décident de descendre la Loire en barque sur 850 km, jusqu’à l’embouchure. Comme ça, sur un coup de tête, parce qu’ils ont regardé du haut d’un pont à Nevers ce fleuve couler sous leurs pieds, parce que l’un d’entre eux, d’un regard aviné, a lancé cette boutade. Parce qu’il s’agissait sans doute, à l’aube de leurs 50 ans, d’honorer cette invitation au voyage autant que celle de demeurer l’enfant penché au parapet.

Ces trois taiseux éprouveront « l’inaction paysagère », savoureront l’ennui. Et Jullien nous livre ici une réflexion sur la spécificité d’un voyage en barque qui fait atteindre sa destination le dos tourné. Et fendre le paysage en deux (avec rive gauche et rive droite pour tout décor) a aussi ceci de particulier que le voyage s’effectue à la fois au cœur de cette matière fluviale et aux confins du monde, puisque le monde tangible se trouve sur les berges.

Il y a aussi pas mal d’humour dans ce récit. Le ravitaillement à Leclerc, véritable expédition forcée, autrement dit que les trois amis exécuteront à reculons, est particulièrement savoureux, avec ses brusques écarts thermiques entre « le secteur des paquets de gâteaux et le domaine fromager ».

Jullien, c’est tout à la fois très simple — un voisin bohème qui s’est absenté quelques semaines — et précieux — un alchimiste à la pensée profonde. C’est une écriture humble, mais parfaitement affûtée. Michel Jullien est un grand styliste qui fabrique des trésors avec un paysage des plus communs. Et le bout de bois lancé du haut du pont aurait bien pu atteindre l’océan, après tout peu importe puisque « l’embouchure véritable n’est pas la Loire, c’est le ciel. »